LES CASSEROLES DE L'AMOUR :
Orfèvre de la sociologie ménagère, Jean Claude Kaufmann publie ces jours-ci Casseroles, amour et crises (Armand Colin).
Donc, c'est à table que le couple se construit?
Et que la famille s'enracine. L'heure du repas est l'un de ces moments de plus en plus rares où l'individu s'oublie. La table est un théâtre. Les rôles y sont répartis depuis l'enfance. Il y a le timide et le rigolo, le gros mangeur et l'appétit d'oiseau. Les goûts et les dégoûts de chacun font partie de la culture familiale. On passe à table pour s'y nourrir autant que pour consommer du lien social. A l'inverse du célibat, qui est une période de déconstruction où l'on picore des chips allongé sur le tapis, le repas à deux ou en famille compose un tissu de rituels. Il y a les heures fixes, les plats que l'on doit vider et toute une discipline des corps. La table est à la fois l'instrument et l'étalon de la vie conjugale. Au commencement, il y a les longs apéros, les ambiances à la bougie, puis vient l'heure de la première recette, qui amènera un vrai plus dans les assiettes et dans la construction d'une intimité. Mais c'est avec l'arrivée des enfants que débute la vraie table. Dès lors, on met le couvert et on instaure symboliquement une famille.
Selon vous, le French paradox s'explique en grande partie par cet art de la table à la française.
Si la France est à la fois le pays de la bonne bouffe et l'un de ceux ou l'on recense le moins d'obèses, c'est que, à l'inverse de la société anglo-saxonne, l'individu qui passe à table n'y est pas considéré comme un cobaye bombardé d'informations scientifiques et nutritionnelles. A force d'occulter la gourmandise, le désir et l'envie, on coupe l'homme de ses régulations. Chez nous, la personne qui cuisine ne s'adresse pas au cerveau de ses convives. A table, on mange de la culture et des relations sociales. Un plaisir qui équilibre et qui protège.