Cours serpentDEPUIS XÉNOPHON, consignant ses conseils aux cavaliers dans L'Art équestre, jusqu'à Paul Morand, mettant en scène la jument de Gengis Khan dans East India and Company, le cheval est le plus aristocratique des animaux littéraires. D'Alexandre Dumas à François Nourissier, une prestigieuse suite d'écrivains a célébré sa noblesse. « On a beau dire, quand on est à cheval, on se sent un peu moins républicain », ironisait le royaliste mérovingien Jacques Perret, biffin d'un genre un peu particulier épinglé en caporal évadé.
Avec leur panoplie de mousquetaire, tous les petits garçons français ont rêvé d'une fringante monture pour galoper en songe aux côtés du Grand Condé. Pour y arriver plus vite, il y avait les livres. Qui donc oubliera jamais la jument de Gargantua ? « Elle était grande comme six éléphants, et avait les pieds fendus en doigts comme le cheval de Jules César, les oreilles aussi pendantes comme les chèvres de Languedoc, et une petite corne au cul... » Le cheval arabe de Lamartine ? « Et toi, mon fier Sultan à la crinière noire, / Coursier né des amours de la foudre et du vent, / Dont quelques poils de jais tigraient la blanche moire / Dont le sabot mordait sur le sable mouvant... »
Le destrier de d'Artagnan ? « A ces moments-là, quand le vent lui coupait les yeux et en faisait jaillir des larmes, quand la selle brûlait, quand le cheval, entamé dans sa chair vive, rugissait de douleur et faisait voler sous ses pieds de derrière une pluie de sable fin et de cailloux, d'Artagnan, se haussant sur l'étrier, et ne voyant rien sur l'eau, rien sous les arbres, cherchait en l'air, comme un insensé, dans le paroxysme de sa convoitise, il rêvait chemins aériens, découvertes du siècle suivant ; il se rappelait Dédale et ses vastes ailes, qui l'avaient sauvé des prisons de la Crète. »
Ces images antiques nous conduisent naturellement à Bucéphale, dont Plutarque a raconté la conquête par Alexandre le Grand. Une histoire à relire dans le beau français du père Amyot. « Le caressant un peu de la voix et de la main, tant qu'il le vit ronflant et soufflant de courroux, laissa à la fin tout doucement tomber son manteau à terre, et, se soulevant dextrement d'un saut léger, monta dessus sans aucun danger, et, lui tenant un peu la bride roide sans le battre ni harasser, le remit gentiment... »
En littérature, le cheval, c'est beaucoup plus que le cheval. Ce n'est pas seulement Saumur, Austerlitz, le souvenir du dragon Céline et du brigadier de première classe Bernanos, qui combattirent l'un et l'autre dans les rangs de la cavalerie durant la Première Guerre mondiale.
Le goût des hippodromes
C'est Vincennes, Longchamp, Enghien... Le goût délicat des jeux interdits... Saint-Cloud, le Lion d'Angers, Auteuil !... Et ce gros open ditch qui nous a fait tant de mal... Attelé, monté, obstacle ou galop, chacun sa religion, chacun sa paroisse. De Dick Francis à Christophe Donner, les écrivains adorent ça. L'ambiance surannée des courtines... Les casaques colorées des jockeys... Le vocabulaire des parieurs... La crinière des chevaux... Les cotes, la liste des partants, les rumeurs de dernière heure... Et cet étrange mélange de pronostiqueurs un peu marlous et de messieurs à particule flanqués d'élégantes. Sans oublier la poésie des noms : Maréchal du Coeur, Dandy Love, Fier Ulysse, Eternel Dante, Magic Alceste, Joyce de la Vallée...
La littérature policière s'en est délectée... « Lundi, j'ai eu 3 tuyaux de sources différentes sur le même canasson... 3, vous entendez ? 30 boules, j'ai misé. Du fric dont ma bourgeoise n'avait même pas connaissance »... Dès qu'il s'agit de chevaux, l'argot est de la partie. C'est ainsi que les courses ont pris une dimension éminemment langagière... Songeons aux romans de Frédéric H. Fajardie, à ceux d'Homeric et de Philippe Jaenada. Des livres pleins de canassons et de parieurs... Les écrivains adorent, les lecteurs en redemandent. Au siècle de la bagnole reine, c'est rassurant de savoir que les chevaux n'ont pas été effacés de nos imaginaires. On n'en voit plus beaucoup dans les rues, mais on en trouve plein les livres. Les écrivains ne sont pas près de cesser de cavaler à bride abattue. Peut-être parce qu'ils aiment avoir la sensation d'« appartenir à un autre ordre que celui des humains, d'être au-dessus des lois de la physique, d'échapper au gouvernement des joies et des paniques ordinaires », comme l'écrit Jérôme Garcin, distingué prosateur hippophile.
Source Le Figaro LittéraireA lire dans
"Les Auteur", un article sur Bernard du Boucheron.